Amour aveugle et douleur sourde [privé]

Lola :

Amis, seulement amis. Aïe. Ca fait un peu mal. Elle laisse échapper un rire doucereux. D’habitude il sait dire les choses avec un peu plus de… Tact. Bon. Ca a le mérite d’être sincère. Il l’a bien remise à sa place, elle est un peu moins certaine de ce qu’elle affirme, tout à coup. C’est absurde qu’elle ait un peu envie de pleurer, là tout de suite, fallait pas imaginer que ce serait le troisième plus beau jour de sa vie, faut jamais rien prédire et espérer, il faut vivre sans réfléchir. Il faut que la franchise d’Oz lui foute une claque, qu’elle apprenne un peu, que les relations humaines c’est pas simple. C’est pas de l’amour qu’ils tissent entre eux, parait-il, c’est de l’amitié. Ben elle est bizarre, votre amitié, Oz.

- Pardon, vous avez raison. Ce n’est juste pas le genre d’amitié auquel je suis habituée, ça m’a… Ca m’a fait dire et croire des choses aberrantes. Je saurais, à l’avenir.

Qu’il ne faut pas tout dire. Tais-toi, Lola. Tais-toi, regarde où ça te mène, de toujours tout dire, ça lui fait dire des choses en retour, qui ne te plaisent pas. Tais-toi. Ne-pleure-pas.

- Il n’y a rien d’autre à ajouter, vous avez tout dit. Garçon ?

Un peu de champagne effectivement, ça devrait lui faire du bien.

Oz :

- Lola...Je-

Elle ne lui laisse pas le temps de parler. Peut-être que c'est pour le mieux, il se dit, parce que Lola n'a pas l'air d'apprécier ce qu'il a dit. Pas du tout.

Un serveur vient leur apporter une bouteille de champagne. Peut-être que ça aussi, c'est pour le mieux, qu'il noie son chagrin en même temps que les limites qu'il s'impose, ça devrait lui faire du bien. Alors que le garçon remplit leurs verres, Oz garde son soupir pour lui.

Le reste du dîner se passa...sans encombres. Peut-être qu'Oz aurait aimé qu'il y ait des encombres, car Lola avait décidé de lui infliger le pire des châtiments - le silence. Il aurait aimé qu'elle dise quelque chose, n'importe quoi qui fasse arrêter cette culpabilité qui le rongeait de l'intérieur, autre que les bruits de couverts qui s'entrechoquent. Il s'était réfugié dans les bouteilles de champagne qu'apportaient les serveurs, chacune se vidant plus rapidement que la dernière. Alors qu'il remplit son énième verre de la soirée, Oz garde son soupir pour lui.

C'est quand le serveur vient récupérer leurs assiettes que Oz se décide à prendre la parole.

- Lola...Parlez-moi. S'il vous plaît.

Lola :

Les bulles qui pétillent dans son verre ont fait leur chemin dans ses veines. Maintenant, c’est sa tête qui en est pleine. Mais ça va, elle sait encore ce qu’elle fait – rien. Elle sait ce qu’elle dit… Rien du tout, et elle sait où elle est, avec qui : un endroit où il ne se passe rien, absolument rien, avec quelqu’un qui ne lui exprime rien, rien que des regrets, des pardons. C’est ironique, ils n’ont pas besoin d’une chambre pour parler, et il semblerait qu’un restaurant non plus ne soit pas le lieu adéquat. Lola se demande même s’ils peuvent parler. S’ils peuvent aller au bout de chaque discussion qu’ils entament, sans se disputer, sans se résigner dans le silence.

Elle se perd dans la contemplation des glaçons qui s’entrechoquent dans sa coupe, pousse un petit soupir las de temps en temps. Du coin de l’œil, elle voit le verre d’Oz qui se remplit et se vide inlassablement. Il engouffre l’équivalent de deux bouteilles. C’est beaucoup. Ca doit vouloir dire beaucoup, aussi. Sur comment il se sent. C’est dommage qu’elle n’arrive pas à l’aider, qu’elle ne puisse pas être le remède à sa douleur. Quand elle se dit ça, il prend la parole. La luciole sort de sa torpeur, regarde le magicien. Avec tout ce qu’il a bu, quoi qu’elle lui dise, il l’oubliera. Ou il ne le comprendra pas. Elle lui sourit, pose une main sur la table, à côté de la sienne, parce qu’elle aimerait bien qu’il la prenne. Elle n’aime pas être fâchée contre lui. Elle sait qu’il se sent mal, elle ne va pas lui faire de reproche. Elle chuchote, la voix douce,

- Tous les jours, je dépense de l’énergie et du temps à vous aimer, et je ne fais pas les choses à moitié. Vous êtes un ami formidable, Oz. Parfois ça me rend triste, mais souvent, j’aime vous aimer.

D’une petite voix chantonne, elle entonne quelques vers, le rose aux joues ;

- Je veux embrasser l’indicible au bout de votre langue

Du bout de mes lèvres

Dites-moi ce qu’on ne dit pas, dites-moi ce qui ne va pas

Et si vous avez honte, dites le tout bas

Mais souvenez-vous que j’aime toutes les fleurs, même celles qui piquent, même celles qui fanent vite...

Oz :

La douzaine de verres qu'il a entamé en valaient la peine, parce que l'espace d'un instant, il pense voir les lèvres de la luciole se mouvoir, le rose de ses joues s'accentuer, et...Et elle parle. Elle lui parlait. C'est une petite victoire pour lui, Oz ne peut empêcher les coins de ses lèvres rejoindre ses pommettes, il a envie de prendre sa main et de la prendre dans ses bras et-

Vous êtes un ami formidable. Ça ne colle pas. J'aime vous aimer. Oz n'est pas dupe, il sait ce que ça veut dire. Peut-être qu'il le savait depuis toujours et ne voulait pas voir la vérité en face. Ses doigts pianotent, il meurt d'envie de prendre la main de la luciole, mais il ne peut pas. Pas maintenant, avec une douzain de verres dans le sang, Oz n'a pas envie de penser que c'est l'alcool qui lui donne des ailes. Elle mérite mieux.

Il se décide à prendre la parole. Un murmure, presque imperceptible. Oz a chaud.

- Sortons.

Lola :

Il ne prend pas sa main, il n’a peut-être pas compris ces intentions, et si ça se trouve, il n’a pas compris ce qu’elle lui a soufflé non plus… C’est peut-être pour le mieux. Alors que son bras refait marche arrière, qu’elle entame de briser l’alchimie qu’elle doit, il faut dire, être la seule à voir entre eux deux, Oz est plus vif, il ne lui répond pas ce qu’elle eut aimé qu’il lui réponde, il lui répond mieux, il la surprend, d’un ton péremptoire. Le cœur de Lola palpite dans sa poitrine. Elle se lève, sa chaise grince un peu, elle lisse sa robe sans quitter son « ami » des yeux. Son appétit est recouvré, complètement, alors qu’ils doivent partir. Puisse-t-il alors étancher sa faim, d’une quelconque façon que ce soit.

- Vos désirs sont des ordres.

Elle saisit son bras, nébuleuse, des fourmis dans les jambes, la tête, le ventre. Que va-t-il lui dire, que va-t-il lui faire ? Attends voir, tais-toi, n'envisage rien, elle ne veut pas essuyer une autre déception.  

Oz :

L'adrénaline rejoint l'alcool dans ses veines, Oz se lève, hâté, il serre le bras de Lola contre le sien, peut-être un peu trop (il met ça sur le compte de son ivresse, encore) et ensemble, ils se pressent à la sortie du restaurant.

L'air de nuit le fouette au visage - mais étrangement, Oz a chaud. Il ne sait pas où il emmène Lola, mais il la veut loin, loin des regards indiscrets, Oz ne sait pas ce qu'il va (lui) faire mais il voulait juste sortir. Loin.

C'est lorsqu'ils trouvent une ruelle, éloignée de tous, que Oz se décide à s'arrêter. Réticent, il se détache de la luciole, et vient se positionner devant elle. Il croise son regard. Oz a chaud, mais il frissonne.

- Lola...

C'est un murmure qui sort en premier. Oz baisse les yeux. Il ne sait pas (plus!) quoi dire. Les joues rosies par le froid (et l'alcool!), nerveux, un rire lui échappe. 

- C'est assez pathétique, vous savez. J'en ai assez de m'excuser et pourtant, les seuls mots qui me viennent à l'esprit maintenant sont...Je suis désolé.

Lola :

Il fait froid dehors, c’est un prétexte pour se serrer un peu plus fort contre Oz. Attendez, ont-ils payé leur consommation ? Rien n’est moins sûr – ça fait sourire Lola comme une adolescente. Ce qui se produit à l’instant semble presque irréel. Un Oz fougueux, c’est grisant. Il l’emmène loin du monde, peut-être pour rejoindre le sien. Ce serait fou qu’il s’ouvre à elle, qu’il lui dise tout, tout ce qu’on ne dit pas, tout ce qui ne va pas. Et tout ce qui va peut-être, aussi ? Il a l’air d’aller mieux. En tout cas, ça fait plaisir à Lola de le croire.

Ils s’arrêtent, se font face. « Lola », son nom, elle préfère toujours comment ça sonne quand c’est lui qui le dit. Elle sourit d’avantage, attend. Elle croit rêver quand il lui dit qu’il est désolé – les circonstances font quand même que, plutôt que de l’agacer, ça l’amuse un peu. Bah tiens. Oz n’est pas Oz s’il ne s’excuse pas. C’est aussi comme ça qu’elle l’aime, de toute façon. La luciole, parfaitement détendue par la liqueur, rit en retour.

- Je suis vexée de ne pas vous inspirer davantage…

C’est une plaisanterie, bien sûr. Elle fait un minuscule pas en avant, les yeux qui papillonnent sur le visage du magicien. Elle aimerait bien savoir ce qui se trame en lui. Les yeux-miroir-de-l’âme tout ça, c’est bien joli, mais il y a ce bandeau qui entrave son regard. Elle ne sait pas grand-chose sur celui qu’elle sacralise, pourquoi il s’excuse si souvent.

- J’aimerais comprendre, je sais que je peux comprendre. Pourquoi, de quoi êtes-vous désolé, Oz ? 

Oz :

Lola a les yeux qui rit, les lèvres enjouées, le cœur gai. Et dire qu'il y a cinq minutes, elle se morfondait sur sa coupe de champagne - Oz s'en voulait encore plus.

Sa question le prend de court. Les coins de ses lèvres retombent, mais Oz ne baisse pas le regard. Lola veut des réponses. Qu'il lui réponde, donc, si il se sent tellement coupable. Il prend une inspiration. Entendre son nom sortir des lèvres de la demoiselle lui décoche un frisson.

Oz est désolé. Il ne sait pas pourquoi - mais il l'est, parce qu'il a l'impression d'être la source de tous les problèmes de Lola, de n’être qu’un poids, un boulet à sa cheville, et que sa vie serait tellement plus facile si il n'en faisait pas parti. Mais le regard de Lola l’empêche de le lui dire en face. Parce qu’il ne veut pas la décevoir encore une fois. Il ne peut pas.

Un autre rire lui échappe.

- C’est drôle. Des milliers me passent par la tête, et pourtant...les mots me manquent.

Oz a envie de s’excuser. Il se mord presque la langue en se retenant. Il baisse le regard vers ses chaussures, joue avec l’élastique de son gant.

- C’est dur à dire.

Lola :

Lola voit les étapes de la décomposition du sourire, de la stature, du semblant d’Oz heureux. Et elle est impuissante. C’est pas grave, elle trouvera quelque chose d’autre à dire, ou à faire, peut-être qu’elle le libérera de ses démons, un beau jour. Elle garde le sourire, essaye de faire bonne figure. Pour qui elle s’est pris, à croire que c’était les petits mots doux, les chansons et les encouragements d’une fille qui pouvaient l’aider ? C’est ridicule, enfin, de croire que les miracles sont monnaie courante dans la vie. Elle n’est sûrement pas capable d’en faire, ni aujourd’hui, ni demain. Mais c’est pas grave ! Elle tente sa chance. Il n’y a plus rien à perdre. Vous savez le plus risible de tout ça ? Elle a choisi sa robe en toute connaissance de cause. Rouge coquelicot. Parce que c’est la fleur de la consolation, du réconfort, celle qui endort les chagrins.

Elle entrouvre les lèvres, cherche le regard d’Oz, sans succès. Reste immobile. Ce n’est pas qu’elle n’a pas envie de le prendre dans ses bras, de manifester son affection, ce qu’elle fait sans trop de tracas d’ordinaire ; c’est juste qu’elle craint que ça ne soit malvenu. L’embarras du magicien est communicatif. Vite, un truc à lui répondre…

- Vous y arriverez. Rien ne presse. Nous avons toute la nuit, pour que les mots vous viennent. N’importe lesquels feront l’affaire.

Ou qu’il lui dise tout, comme elle le fait. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est toujours libérateur.

- Étiez-vous désolé de quoi que ce soit avant de me connaitre ?

C’est assez orgueilleux, d’envisager qu’elle est la cause de ses maux, qu’elle tient un rôle si important dans sa vie. Mais la question mérite d’être posée.

 Oz :

Lola garde le sourire, malgré tout, et Oz l'envie un peu dans ces moments là. Dans ces moments de doute, où il se dit que peut-être il n'est pas assez, peut-être qu'il n'a jamais été assez, le sourire de Lola brille plus fort que n'importe quelle luciole dans la nuit.

Il choisit d'ignorer sa question. 

- J'ai fait...de mauvaises choses. Quand j'étais plus jeune.

Il prend une inspiration, le regard jonglant entre Lola et le bout de ses chaussures. Il a honte.

- J'aimerais avoir le courage de vous en parler, vraiment. Vous méritez que je vous en parle. Mais peut-être que moi, je ne le mérite pas.

Oz s'est mis à penser qu'il était voué à vivre avec cette culpabilité qui le rongeait de l'intérieur, cette honte de savoir quelque chose que personne d'autre ne savait, qu'il avait pris sa place sans aucunes secondes pensées rien qu'à la promesse d'un avenir incertain et meilleur - incertain, mais meilleur.

- Peut-être que ce n'est pas le bon moment. Je n'en ai aucune idée, à vrai dire. (un semblant de sourire s'esquisse sur son visage.) Je vous suis très reconnaissant, Lola. Mais s'il vous plaît, je vous en prie, ne vous acharnez pas pour ma cause.

Elle faisait déjà beaucoup pour lui, plus qu'elle ne le savait. Oz s'en voulait déjà de savoir que ses soucis la tracassait autant, que serait-il si elle commençait à vouloir les régler par elle-même ?