Vivre d'amour et d'eau salée [privé]

Lola :

Lola sourit faiblement, et hoche la tête. S’il savait.

Je suis comme je suis, oui. Je suis éprise de vous. Je suis en orbite autour de vous, je brûle à chaque instant que vous m’accordiez un sourire, un regard, un mot gentil. C’est ce que je suis, dépendante, asservie, et le plus étrange, c’est que ça me plaît. Je suis effrayée à l’idée que vous me quittiez au bout de ce chemin, et que j’ai à rentrer chez moi toute seule, je suis toute chose en pensant à notre rendez-vous, je suis morose sans vous. Je suis plus jolie et plus intéressante que la veille, enfin, c’est comme ça que je me sens, parce que vous me couvez d’attentions qu’on ne m’accorde jamais. Et je suis reconnaissante pour ça. Alors…

- Merci, Oz.

Elle lui lance un regard. Un peu insistant – c’est déplacé, mais elle s’en fiche, de toute façon, c’est trop tard, dans sa contemplation de ses traits anguleux, de son œil brun, de tout ce qu’elle a déjà observé à la dérobée cent fois, elle est…

- Perdue.

Elle l’a dit si bas, d’une voix aussi éthérée qu’un bruissement d’aile ; peut-être qu’il n’a pas entendu, et ce serait tant mieux, c’est son petit secret à elle, que sa boussole se dérègle à côté de lui, que c’est sa faute si elle ne dort plus la nuit.

- C'est ce que je suis. 

Oz :

Ils se contemplent, mutuellement, et Oz prend un moment pour se dire que fichtre, qu'est-ce que ça fait du bien, de pouvoir regarder quelqu'un dans les yeux sans avoir l'intime conviction qu'ils le font avec de mauvaises intentions. Des mauvais regards, le magicien en avait essuyé des centaines, mais il n'y avait que Lola pour le couvrir de tendresse comme elle le faisait. Il aimerait bien la prendre dans ses bras, mais l'étreinte lui semblerait malotrue pour l'instant, alors il se contient.

- Perdue ?

Il étouffe un rire bienveillant, défaisant la prise qu'il avait sur les mains de la demoiselle. 

- Vous êtes une femme intelligente, Lola. Je sais que vous retrouverez votre chemin.

Lola :

Mais qu’est-ce qui peut bien la faire sourire comme ça ? Ce doit être la morsure de la fierté – Oz est si gentil avec elle, elle risquerait de s’enorgueillir de tout ce qu’il lui dit. Mutine, la luciole hausse les épaules en regardant ses fleurs.

- Je ne sais pas si j’ai envie de le retrouver…

Ses yeux dérivent du bouquet, à la main-paradis de celui qui le lui a offert, pour atterrir sur son visage et, c’est absurde, mais il s’en faut de peu pour qu’elle ne se reperde pas une fois de plus.

- Je crois qu’il y a plus de bien que de mal dans le fait de se perdre, et de s’aventurer en terre inconnue. On ne sait jamais sur quoi on peut tomber et… Il se peut, qu’au bout du chemin qu’on n’arpente jamais, se trouve un trésor. (elle s’interrompt, et rit) Je sais, c’est un peu… Niais, dit comme ça. Mais, ce n'est rien de moins que ce que je pense. 

Et elle ne va pas s’excuser de voir en lui un trésor, et d’avoir des étoiles pleins les yeux quand elle y songe, pas vrai ? Non – et c’est de plus en plus dur de ne rien laisser transparaître, alors elle sème des petits indices, elle ne dit pas tout ce qu’elle pense, mais elle pense tout ce qu’elle dit, et elle le dit yeux dans les yeux, alors comprendra qui pourra. Et un jour, peut-être qu’elle dira tout ce qu’elle pense aussi, et il lui tarde de faire tomber son voile de pudeur, parce que ça l’ennuie de taire tous ses mots emprunts de tendresse. Elle en a un peu trop, entreposés comme des bibelots dans son cœur, une petite collection de mots-papillons dont elle est très fière, et qui veulent passer le seuil de ses lèvres à tout prix.

- Dites-moi donc ce que vous pensez... S’il vous plaît. Somme toute, je parle beaucoup, et vous très peu. Même si vous le faites très bien ! C’est juste qu’il y a tant de choses que j’ignore à votre sujet et… Ça m’intrigue. 

Oz :

Aussi farfelue l'idée soit-elle, le magicien ne peut s'empêcher de penser que derrière ses mots emprunts de tendresse, la luciole veut en dire plus. Plus qu'elle ne le dit, mais elle laisse paraître, dans ses gestes et mimiques : Oz lit en elle comme dans un livre ouvert, mais quelque chose lui donne envie d'arrêter d'en tourner les pages. C'est sans doute pour respecter sa pudeur, parce que en amassant tout ses petits détails sur la luciole, Oz a l'impression de violer son intimité - c'est maintenant décidé, il ne prendra que ce qu'elle voudra lui donner.

- Je pense que...

Oz prend le temps de réfléchir sur le sujet - ce trésor, dont la luciole parle, au bout du chemin qu'on n'arpente jamais, est-ce qu'il a déjà eu la chance de le trouver ?

- Je ne crois pas aux trésors cachés, Lola. 

Son regard se perd dans celui de la luciole, et il en perd son souffle un instant.

- Il...il me tarde d'en voir un de mes propres yeux, mais je pense également que...malgré tout ce que cette planète à a offrir, au bout du chemin que j'arpente depuis des années et des années, avec la même idée en tête que ça ne changerait jamais...Je vous trouve vous.

Le magicien esquisse un sourire.

- Seulement vous.

Lola :

Ce sont les travers de l’amour, ils nous font croire qu’avec l’être chéri, on est toujours sur la même longueur d’onde, qu’on marche sur le même fil, qu’on ressent tout et qu’on pense tout à travers l’autre – mais Oz ne croit pas aux trésors cachés. Ce n’est pas un problème, c’est même plutôt intéressant, en vérité : que croit-il qu’on trouve, qu’a-t’il trouvé ?

Oh.

Eh ! c’est la deuxième flèche qu’il lui décoche en plein cœur en l’espace de quelques minutes. Il est sacrément culotté, le magicien, de lui dire ça avec autant de légèreté, la luciole va s’écrouler sous le poids de sa passion, et il ne pourra pas la sauver. C’est dans ces moments que Lola se dit qu’elle devrait se mettre à l’abris d’aimer. Pour ne pas avoir un genou à terre, pour ne pas tomber plus bas que terre. Aimer, ça lui fait penser des choses absolument aberrantes : mon cœur battra pour vous ou il ne battra plus. Une étoffe de feu autour du corps, elle est à deux cheveux de se jeter dans les bras d’Oz, il la cherche alors il va la trouver, la féline qui sommeille dans l’insecte, elle va le marquer au fer rouge avec ses baisers mouillés, c’est vrai, il fait un temps à s’embrasser follement. Elle va le faire, elle le fera… Un jour.

- Je… J’espère… J’espère que la trouvaille vous plaît.

Elle bafouille ceci, fébrile, l’air mal assuré. Ses fleurs la narguent gentiment. Elles lui disent de se jeter à l’eau, mais Lola ne sait pas nager, pas dans ces eaux-là, en tout cas.  

Oz :

Le magicien en perd son souffle encore une fois. Elle avait cette emprise sur lui, la luciole, le pouvoir de lui faire ressentir des choses qu'il n'avais jamais connu avant. La façon dont elle le regarde, l'observe, l'épie - ses chevilles vont le lâcher.

- Assurément.

Lola était sûrement la meilleure chose qui lui était arrivé depuis des lustres - et pour ça, il lui en était très reconnaissant. Le magicien coule un regard au paysage, le soleil se cache sous un rideau de nuages et le ciel arbore une teinte rosâtre. Oz sait que c'est maintenant que leurs chemins se quittent, et ça le chagrine tout autant que la première fois.

- Lola, ce fut une agréable rencontre, mais je dois vous quitter.

Il lui accorde un regard attendri, un sourire naissant au coin des lèvres.

- Surveillez votre boîte aux lettres d'un oeil avisé, voulez-vous ? Nous nous retrouverons bientôt.

Lola :

« Lola, ce fut une agréable rencontre », aaah, satané amertume qui s’enlise dans son cœur ! Elle l’a redouté, ce moment, mais il arrivait à point nommé : la fièvre se mettait à la gagner de nouveau, alors oui, Oz, fuyez, fuyez loin si vous ne voulez pas qu’on ne froisse votre jolie chemise et qu’on ne goûte à votre petit sourire en coin.

- D’accord. Eh bien… Un cadeau d’au revoir s’impose. Voyons voir…

Elle se scanne toute seule. Pas de bracelet à son poignet. Une réplique moins jolie de la pince qu’elle lui a laissée tantôt, et puis sa petite robe lila. C’est à peu près tout ce qu’elle a ; la pince est dénuée d’intérêt et la robe n’est pas une option. Un petit air improvisé ? Ou peut-être…

- Je sais !

Lola, dans un faux-semblant d'assurance, pivote sur ses talons pour faire face à son magicien, et s’avance d’un pas, tout petit, un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’amour ; elle est à peu près sûre de pouvoir faire ce qu’elle s’apprête à faire, en tout impunité. Elle a des gestes d’amoureuse prévisible, mais peut-être qu'Oz ne pressent pas le genre de cadeau qu’elle veut lui offrir. La luciole se hisse sur la pointe de ses bottines, pose deux petites mains prestes sur ses épaules, et dépose un bisou affectueux sur sa joue.

- Voici pour vous. A très bientôt, Oz.

Elle s’éloigne d’un pas à contrecœur, esquisse un sourire timide et quitte son ami-amant promptement. Il faut qu’elle soit un peu loin quand elle laissera son euphorie s’exprimer, vous comprenez, il en va de son image de jeune femme sûre d’elle, raisonnable, réfléchie et pas du tout submergée par ses émotions !

Oz :

Oh.

Le temps de réagir, le coeur du magicien a déjà quitté sa cage thoracique - mais quel effet elle lui faisait ! Il en était sûr, maintenant, Lola n'avait rien d'ordinaire, elle l'avait ensorcelé et même son haut-de-forme ne pouvait rien y faire. Et maintenant qu'elle s'en allait, il avait l'air bien bête, les bras ballants et ne sachant pas quoi faire. Elle lui avait fait perdre tout ses repères, et il lui faudra du temps pour tous les retrouver. La peau encore frissonnante, Oz porte une main à sa joue - cette joue, et il relâche un soupir qu'il ignorait avoir gardé.

La luciole a beau avoir quitté ce port, elle ne quittera pas son esprit pendant longtemps, il en est sûr.